Geoffrey de Noüel
Geoffrey de Noüel
Indre-et-Loire. Sainte-Maure-de-Touraine. Lieu-dit « La Peuvrie ». Un chemin de terre menant vers une ferme à la façade anonyme. S’il n’y avait pas le petit panneau indiquant la présence d’un domaine viticole ici, on pourrait facilement penser que l’on s’est trompé d’adresse…Et pourtant, non, c’est bien ici qu’habite Geoffrey de Nouel. Nous sommes en appellation Touraine, une appellation aussi vaste qu’hétérogène. L’extrême Est de l’appellation Chinon est environ 5km dans notre dos.
Geoffrey a toujours été plus un amoureux de la terre que du vin. Un agriculteur. Il a aussi toujours aimé l’idée d’être autonome sur l’ensemble du processus de création d’un produit. Produire lui même sa matière première, la transformer puis la vendre. Initialement, il songe à faire du fromage de chèvre (comme un certain Michel Autran…) avant de finalement s’orienter vers le vin. Apres le BAC, il part donc se former à quelques dizaines de kilomètres de chez lui, en Touraine. Un BTS viti-oeno. C’est pas si vieux (nous sommes au début des années 2010) et pourtant, personne alors n’est vraiment intéressé par le « bio » parmi ses camarades de promo. Après sa formation théorique, Geoffrey part travailler chez les Bonnaventure, au Chateau de Coulaine. Là, il trouve (enfin) quelqu’un qui partage les même valeurs que lui (c’est un des plus vieux domaines de Chinon, certifié en bio depuis le début des années 90). En 2016, il trouve un domaine à vendre, avec une petite dizaine d’hectare de vignes. Elles sont déjà en bio et c’est à Sainte-Maure, la capitale française du fromage de chèvre. Si c’est pas un signe du destin, je n’y connais rien…
Le plus gros îlot de vignes de Geoffrey se situe à une centaine de mètres de son chai. Il travaille environ 5 hectares de vignes ici, découpés en une demi douzaine de parcelles. Dès le début, Geoffrey a voulu une approche parcellaire très forte pour ses vins. Une parcelle, une cuvée. Simple. On retrouve ici la très grande majorité de vins sortant en appellation Touraine et notamment Le Clos de la Peuvrie et Le Bois Bonnard, qui sont probablement ses deux cuvées les plus connues. Les vignes (du cabernet franc) de ces deux cuvées sont d’âge identique (une petite quarantaine d’années) mais la première regarde le Sud tandis que la seconde est exposée au Nord.
Geoffrey produit ici également quelques cuvées de cabernet plus confidentielles, avec des parcelles de moins de 40 ares (4000m2), comme Les Archambaults, sa plus veille vigne (sur cet îlot) ou La Peuvrie (il y a « Le Clos de la Peuvrie » et « La Peuvrie » tout court), implantée un peu plus bas en altitude mais sur un sol très calcaire. En parlant altitude, toutes les vignes de cet ilot sont situées sur un mamelon calcaire dominant les alentours et culminant à 110m d’altitude (ce qui est plus ou moins le point culminant de l’appellation Chinon voisine, la majorité des vignes dites « de coteaux » y sont situées au moins 20-30m plus bas). Les sols de tout cet ensemble est majoritairement dit « d’argile à silex » avec le substrat calcaire en dessous. Il y a très très peu de vignes dans un rayon de 5 kilomètres alentours mais à cet endroit précis, il y a un vrai terroir viticole
En plus du Cabernet, Geoffrey possède ici d’autres cépages, avec notamment une belle parcelle de côt qui lui sert à créer la cuvée Brigand Côt et qui rentre aussi pour une petite part dans l’assemblage de la cuvée Affreux Jojo (Geoffrey considère le côt comme un condiment poivré dans sa petite cuvée de cabernet, il en faut juste un peu mais il est indispensable). Cette parcelle se situe plus bas dans la pente et présente un sol différent, plus fin, plus sablonneux. Geoffrey aime bien ce cépage (« c’est facile le côt ») : il pousse facilement, est moins sensible au mildiou, offre de bons rendements et les maturités sont plus faciles à appréhender qu’avec le cabernet
Enfin, Geoffrey possède aussi dans cet îlot de Sainte-Maure des cépages blancs. Une vieille vigne de Chardonnay qu’il a récupéré en 2017 de seulement 20 ares. Geoffrey n’aime pas trop le sauvignon blanc…alors il a décidé d’en planter. Comme un défi à lui-même, pour voir s’il est capable de faire « un sauvignon qu’il aime bien ». Il assemble ces deux parcelles pour créer une seule cuvée. Il se dit que trois agences de communication ont travaillé à temps plein pendant plusieurs semaines pour trouver le nom de cette cuvée qui s’appelle : Sauvignon Jeune Vigne et Chardonnay
En dehors de cet îlot, Geoffrey possède également une demi douzaine d’autres parcelles pour, vous l’avez compris maintenant, autant de cuvées (oui, il a BEAUCOUP de cuvées…). On peut citer La Billette, son Rayas à lui (tout proportion gardée, il ne se prend pas du tout pour Emmanuel Reynaud, c’est « juste » parce que les vignes sont sur des sables et entourées de bois (comme à Rayas donc) et que c’est sa cuvée la plus élégante et délicate)) ou Les Noraies, qui est sa seule cuvée en appellation Chinon. Il y a enfin deux autres cuvées dont je veux vous parler, la première est Belle-Vue. C’est la plus vieille vignes de Geoffrey, un ancien vrai clos (clos de murs), avec des cabernets pratiquement centenaires. Ici, on est dans l’ancien lit de la Vienne, un terroir dit « de varennes », très classique du coin, qui mélange sables et graves
La dernière cuvée de Geoffrey, j’ai gardé le « meilleur » pour la fin, s’appelle Les Beauregards. C’est la parcelle préférée de Geoffrey mais ça n’est pas nécessairement sa cuvée préférée (pas tous les millésimes en tout cas). C’est l’endroit où il préfère venir travailler. C’est un vieux cabernet franc d’une soixantaine d’années, situé dans le petit village de Crissay-sur-Manse, un nom que vous entendez surement pour la première fois mais qui fait partie du classement des plus beaux villages de France (bon, si vous habitez un peu loin, n’y allait pas non plus exprès juste pour le visiter (c’est quand même petit…) mais c’est vrai que c’est très joli). Rien qu’en passant dans le bourg, on comprend qu’il y a du terroir ici : le calcaire est partout, strictement toutes les maisons sont en pierres de tuffeau (les pierres ont été extraites du sol à proximité, pour creuser des caves notamment). Il y a un joli coteau à pic (ça monte fort!) qui fait face à la Manse (un affluent de la Vienne) et c’est là, juste à flanc de coteau, qu’est située la parcelle de Beauregard. Vraiment un endroit magnifique.
Comme souvent chez les vignerons présents ici, le travail en cave se limite au minimum. ». Aucun intrant, le minimum de trituration, des process d’extraction très doux….« Rentrer les meilleurs raisins possibles pour ensuite les accompagner gentiment et patiemment », voila la philosophie. Hormis Brigand Côt et Affreux Jojo, Geoffrey élève tous ses vins en barriques. Jamais de bois neuf par contre. A son installation, il est parti en bourgogne, à Nuit Saint Georges, pour acheter un parc de barriques d’occasion chez Thibault Liger Belair. Il les utilise encore aujourd’hui. Les vins patientent au minimum 12 mois sous bois, mais plus généralement 24 mois (et même parfois plus), dans une cave troglodyte creusée dans le tuffeau, comme tout bon domaine tourangeau qui se respecte. La mise en bouteille se fait lorsque les vins sont prêts, sans urgence puis patientent ensuite de longs mois supplémentaires en bouteilles avant commercialisation.