Michel Autran

Michel Autran

Préambule

Aucun des vins proposés par Michel Autran ne possède d’Appellation d’Origine Contrôlée. Michel Autran produit exclusivement des VSIG, des Vins sans Indication Géographique, plus communément appelés Vins de France qui, par définition et pour être clair, peuvent donc être, au regard de la loi, originaires de n’importe où en France

Ancien médecin généraliste, Michel Autran décide de changer de métier au milieu des années 2000. Il pense dans un premier temps devenir chevrier. Prendre soin de ses bêtes et faire son fromage. Un rêve de gosse en fait. Avec des envies fondatrices et claires. L’idée d’être proche de la terre, de partir d’une matière première et d’en faire la transformation en un produit plus noble. Travailler dans le respect des écosystèmes aussi, du vivant d’une manière globale. C’est même une évidence pour lui, ses parents étaient déjà impliqués et militants dans le bio avant que ce ne soit à la mode, il y a plus de vingt ans maintenant.

Evidemment, si je vous parle de Michel aujourd’hui, vous imaginez bien qu’il ne fait finalement pas d’élevage caprin; pour autant, en y réfléchissant, son métier de vigneron se structure en fait autour de la même philosophie et des mêmes idées fortes.

C’est en 2006 que Michel Autran commence son nouveau métier, il travaille dans les vignes et à la cave aux côtés de la famille Pinon, à Vouvray. Il poursuit son activité de médecin en parallèle. La bascule ne s’effectue totalement qu’en 2011, année où Michel s’installe à Noizay, commune voisine de celle de Vouvray, sur une surface d’un peu plus de 3 hectares

– Tout démarre aux Enfers –

Michel face "Aux Enfers"

Les Enfers, c’est le lieu-dit où Michel a acheté sa premiere parcelle. L’endroit est assez abrupt, pentu. Le bas est lui assez gélif malheureusement mais le terroir est magnifique, un des plus beaux de Noizay. Le sol est “LE” sol classique du coin, communément appelé par tous ici “d’argile à silex”, très riche en cailloux. Michel ne possède ici que des vieilles vignes (il ne possède que des vieilles vignes d’ailleurs, sur toutes ses parcelles)

Argiles à silex

Cette parcelle sert d’ossature à la cuvée Les Enfers Tranquilles. Michel y ajoute les raisins provenant d’autres parcelles situées à quelques centaines de mètres à vol d’oiseau et similaires géologiquement parlant. Une de celles-ci possède une petite particularité, puisqu’une dizaine de rangs de vieux Gamay y sont plantés au milieu du chenin. C’était une pratique courante autrefois, les anciens plantaient toujours quelques rangs de raisins rouges pour eux, pour “le vin de tous les jours”. Michel utilise ce gamay pour faire un pétillant naturel confidentiel, nommé Arrête(s) toi à Kerguelen (environ 300 bouteilles / an seulement).

Evidemment, Michel travaille “en bio” donc (avec des sols labourés et sans utilisation de produit phyto de synthèse notamment) mais cela va beaucoup plus loin que ça. Il est très attaché aux équilibres des écosystèmes, il entretient notamment (ou crée) des bosquets ou des rangées d’arbres et d’arbustes dans ses vignes, qui servent de refuge de biodiversité. Cela lui vaut des conflits avec ses voisins mais pour lui, c’est essentiel. Autre exemple, Michel est “opposé” au traitement du ver de la grappe (des chenilles de papillon qui détruisent les vignes) par confusion sexuelle. C’est pourtant un procédé à priori respectueux du vivant (on trompe les papillons en saturant les vignes de phéromones, les mâles ne “trouvent” ainsi plus les femelles, ils ne se reproduisent donc pas, il n’y a donc pas de chenilles…). Pour lui, il est toujours préjudiciable de perturber un écosysteme, même dans une direction qui parait pourtant être la bonne. Il est pour l’autorégulation, les équilibres fins et fragiles mais naturels et pour lui, la vraie question, est “pourquoi ces papillons n’ont plus (assez) de prédateurs et sont devenus dominants?”.

Michel fait deux cuvées de blancs secs, qui sont construites suivant l’identité des sols où les vignes sont implantées. La première, Les Enfers Tranquilles, est donc, on vient de le voir, la cuvée de chenin sur “Argile à silex”. La seconde est la cuvée sur “Argile rouge”, et elle s’appelle Ciel Rouge.

Les Argiles rouges très fines, dénominateurs communs de la cuvée Ciel Rouge

Le coeur de cette cuvée Ciel Rouge, c’est un petite vigne de 40 ares, La Roche de Cestre, située dans le bourg de Noizay, au dessus du Château.

Michel dans sa parcelle fétiche

On y reviendra mais Michel est un fan de musique, et notamment de Jazz (il organise d’ailleurs plusieurs petits festivals, dont un qui se tient dans sa propre cave!). En fan de musique qu’il est donc, ce Clos est un peu sa danseuse. Sa parcelle fétiche. Et c’est vrai qu’elle est sublime. Une vieille vigne de chenin (plantée en 1937!), sur une pente abrupte et entourée d’arbres, vraiment en rebord du coteau (caractéristique qui marque les grands terroirs locaux).

Roche de Cestre, vu du haut. Ça tombe à pic...(on aperçoit le toit du chateau de Noizay)
Roche de Cestre, vu du bas. Autre intérêt de cette photo, on peut voir l'impact d'avoir des arbres le long d'une parcelle. Idéal pour avoir de la biodiversité et de la vie, moins bon pour le rang de vigne le plus proche (qui soufre un peu du manque d'eau). Voilà pourquoi beaucoup n'en veulent pas (en plus de la perte de rendement à l'hectare évidement)
Roche de Cestre, vu du bas. Autre intérêt de cette photo, on peut voir l'impact d'avoir des arbres le long d'une parcelle. Idéal pour avoir de la biodiversité et de la vie, moins bon pour le rang de vigne le plus proche (qui souffre un peu du manque d'eau). Voilà pourquoi beaucoup de vignerons n'en veulent pas (en plus évidement de la perte de rendement à l'hectare liée à la surface "perdue" (non plantée de vigne))

Le sol de ce Clos est très particulier, constitué majoritairement d’argiles rouges donc, mais ce qui fait sa spécificité (et sa qualité), c’est la finesse de ces argiles, similaires à un sable très très fin en terme de granulométrie. Michel travaille le sol de cette parcelle dans les deux sens (en montée et en descente) pour éviter de descendre trop de terre. Auparavant, il utilisait le cheval pour le labour (il faisait appel à Philippe Chigard, spécialisé dans le domaine) mais désormais, il utilise son tracteur, à vitesse ultra lente, pour un résultat équivalent. Dans ce sol d’argiles très fines donc, on retrouve également de gros cailloux, majoritairement calcaires, un terroir d’une grande complexité

Toute la complexité du sol de la parcelle de La Roche de Cestre résumé en une photo

Cette parcelle exceptionnelle est donc le coeur de la cuvée Ciel Rouge. Michel y ajoute les raisins d’une autre parcelle, Les Granges, où la géologie du sol est similaire (même si les argiles y sont moins fines). Elle est située à l’extreme opposée de la commune mais ça n’est pas grave car c’est bien l’identité du sol qui dicte les “assemblages” plus que tout autre chose.

Les Granges, une parcelle qui "rentre" dans Ciel Rouge

Mon rêve, ce serait que 1+1 fasse 3 – Michel Autran

Non, Michel n’a pas de problème particulier avec les Maths…La situation est, qu’aujourd’hui, il produit donc 2 cuvées de blancs secs, chacune avec une personnalité très affirmée, et chacune representative d’un type de sol. Une situation et une philosophie dont Michel se satisfait pleinement à l’heure actuelle. Néanmoins, son rêve ultime serait, à terme, de ne faire qu’un seul vin sur le domaine. Mais il voudrait que ce vin soit “plus” que la somme des qualités des deux cuvées existantes prises séparément. Pour reprendre son analogie musicale, il a aujourd’hui deux très beaux solistes et il voudrait non seulement réussir à les faire jouer ensemble, mais il voudrait surtout que le résultat soit plus mélodieux, plus abouti, plus complet, plus vibrant, que “juste” deux solistes jouant certes “de concert” mais sans alchimie. L’analogie peut se faire également avec la gastronomie et le vin, parfois un vin et un plat ne s’accordent pas, et dans ce cas, 1+1 fait moins que 2 (le plat et le vin y perdent, à être accordés ensemble). Lorsque 1+1 fait 2, nous avons ce que l’on peut qualifier un accord mets/vin réussi, les deux composants jouent leur partition de leur côté mais parviennent à s’exprimer pleinement sans que l’un n’empiète sur l’autre. Mais le véritable objectif de l’accord mets-vin, c’est de faire en sorte que chacun soit sublimé par l’autre, et ainsi que 1+1 fasse 3…Une équation dure à résoudre, dans tous les domaines, mais surtout une source de motivation, pour beaucoup de musiciens et de sommeliers. Et aussi pour Michel.

Je veux retrouver la sonorité des raisins dans le vin – Michel Autran

Michel aime la jazz, souvenez vous et voilà une phrase qui résume bien le travail de Michel à la cave, qu’il voit comme un prolongement du travail à la vigne. Malgré son bagage scientifique, Michel n’est pas très analytique dans son approche du vin. Il fait très peu d’analyses (pratiquement jamais même) et par exemple, son secret pour sélectionner la date de vendange optimale, ça parait tout bête mais c’est de…goûter les raisins! Goûter énormément. Il est extrêmement rare que Michel vendange toute une parcelle en un seul passage Au contraire, il fait 2,3 parfois 4 passages dans une seule parcelle, parfois à une semaine d’intervalle, voire plus, pour récolter chaque grappe à la maturité optimale. Il vendange parfois des demi rangs et la decision de s’arrêter à ce cep plutôt qu’à son voisin est uniquement basée sur la dégustation des baies. Autant dire qu’il faut une équipe de vendangeurs attentive et à l’écoute.

Dans la cave de Michel

Derrière cette phrase se retrouve aussi l’idée que Michel ne cherche pas à faire des vins “où l’on sent le travail de cave”, il faut que la patte du vinificateur s’efface le plus possible. Il faut retrouver la sonorité qu’avait les raisins à la vigne et le tempo du millésime. On pourrait imaginer que cela passe par des élevages très courts mais pour Michel, c’est tout l’inverse, et il est le vigneron du coin qui pratique les élevages les plus longs. 12 mois de barriques, suivi d’un élevage “en masse” (en cuve donc) au minimum de 8 mois, poussé parfois à 12 mois (24 mois au total donc).

Il travaille avec plusieurs tonneliers, Atelier Centre France et Mercurey notamment. Il ne recherche pas toujours les chauffes les plus légères, qui à ses yeux peuvent parfois trop patiner et casser la dynamique des jus. Une barrique avec une chauffe “plus musclée” (une Mercurey typiquement) peut amener beaucoup de caractère sans travestir ou maquiller la matière premiere. Là encore, c’est une pensée peu répandue actuellement (la mode est à la chauffe la plus légère possible, des cintrages vapeurs, etc…).

Cave creusée "sous" le coteau, là où s'affinent les vins

Les elevages se déroulent dans une cave en tuffeau creusée dans le coteau, à plus de dix mètres sous terre. Il règne ici une température (environ 14° toute l’année) et une hygrométrie idéales. Michel aime travailler sur des presses assez fortes, avec des jus plutôt bruns et des débourbages très lâches (qu’il effectue au seau et pas à la pompe). L’objectif est d’aller chercher tout ce qu’il y a dans le raisin. S’il se donne autant de mal à la vigne pour gagner en complexité et en profondeur, ce n’est pas pour laisser tout ce travail “dans le pressoir” ou dans un débourbage trop serré. Michel n’est pas un “ayatollah” du sans soufre. Moins il y en a, mieux c’est évidement mais il n’en fait pas un dogme et il n’hésite pas à en utiliser un peu, pour gagner en netteté et éviter les problèmes après mise s’il le juge nécessaire. En général, il aboutit à des taux compris entre 30 et 40 mg de total une fois en bouteille (c’est environ 5 fois inférieur à la limite légale). Hormis un peu de sulfites donc, Michel n’utilise strictement aucun intrant en vinification (ni levurage, ni azote, ni quoique ce soit). Sa façon à lui d’orchestrer sa vendange et de faire en sorte que ses vins sonnent justes et clairs, tout en gardant “la sonorité du raisin”…