Beatriz Papamija et Etienne Le Blanc
Clos Kixhaya
Chinon
Beatriz Papamija et Etienne Le Blanc
Clos Kixhaya
Chinon
Beatriz est née en Colombie. Etienne, dans le Nord de la France. Le chaud et le froid. Une « ambivalence géographique » que l’on retrouve dans leur tempérament. Elle est pétillante et solaire, il est serein et taiseux. C’est pas très grave, Beatriz parle pour (d)eux. C’est une ancienne architecte. Il est diplômé de « Science Pô » et ancien économiste. Pendant 10 ans, la vie les emmènera vivre en Espagne, dans le Pas de Calais, à Londres, en Colombie… Un itinéraire, un cheminement au cours duquel leur projet germe, murît, grandit. L’obsession : travailler avec, ou dans, la Nature.
En 2016, c’est décidé, il feront du vin. Nature, bien sûr. Ils s’orientent assez vite vers la Loire et pendant pratiquement 3 ans, ils recherchent leur futur « chai eux », quelque part entre le Muscadet et la Touraine. Beatriz se forme, un BP REA, à Montreuil-Bellay. Elle rencontre Mélanie et Aymeric Hilaire du Domaine Mélaric. Elle travaille avec Mathieu Vallée, au Chateau Yvonne. Le Saumurois, et notamment, le Puy Notre Dame, les attire beaucoup. Ils aiment les terroirs mais aussi l’ambiance et l’émulation qui y règnent. Et puis il y a les amis aussi. Mais ils ne trouvent pas ce qu’ils recherchent : 4-5 hectares de vignes, d’un seul tenant, avec, au milieu, un endroit pour vinifier et habiter. Leur îlot.
C’est finalement en bord de Vienne, à Chinon, après avoir écumé l’ensemble des sites spécialisés et fait jouer leur réseau, qu’ils trouveront, sur leboncoin (si ça c’est pas le destin !) la perle rare. Un clos entièrement ceint de murs de 5 hectares, avec la maison et le chai, juste de l’autre côté de la route. Les vignes sont aussi bien tenues que la maison est une ruine. Ils seront plus entrepreneurs en bâtiment que vignerons les premiers mois mais c’est pas grave, ils foncent. Ça y est, ils ont réussi, dix ans après les premiers prémices, les premiers projets, la première idée, le Clos Kixhaya existe
Parlons en de ce Clos justement. Cinq hectares entièrement ceint de murs (une vraie rareté), dont un hectare de friche (non planté). Les 4 hectares restant, exclusivement du cabernet franc. Les plus jeunes ceps ont une vingtaine d’années. Les plus vieux flirteront bientôt avec le siècle d’existence (plantés en 1930). Les sols sont globalement homogènes sur l’ensemble du clos. Il s’agit d’un sol très classique de l’appellation Chinon, les Varennes. C’est en fait un mélange de sables et de graviers, des alluvions qui sont issus de l’ancien lit de la Vienne (le clos est d’ailleurs situé à moins de 200m à vol d’oiseau de cette dernière). La Vienne étant la deuxième plus longue rivière de France et traversant beaucoup de terroirs très divers, les alluvions qu’elle a drainé sur le site sont très hétérogènes et d’une grande variété.
Le clos est entièrement bordé d’arbres et il n’y a pas d’autres vignes (ni d’autres cultures d’ailleurs) alentours. C’est toujours un avantage de ne pas avoir de voisin, notamment lorsque l’on est en bio et que l’on ne souhaite pas subir les traitements de ceux qui ne le sont pas…un problème récurrent (et insoluble) dans les océans, ou du moins, dans les grand ilots de vignes. Beatriz et Etienne n’utilisent pas de traitement phyto de synthèse, hormis les traditionnels soufre et cuivre autorisés en agriculture biologique.
La philosophie à la vigne peut se résumer en une phrase : perturber le moins possible le cycle physiologique de la plante. Beatriz et Etienne ne cherchent pas à tout prix à « lutter » contre l’herbe (un diktat qui a encore la vie dure). Ils travaillent les sols avec parcimonie et toujours de manière superficielle en utilisant soit un passage de disque (un outil qui « fend » le sol, une sorte de gros scarificateur en somme) soit un coup de griffe, mais seulement sur une profondeur de quelques centimètres pour ne pas perturber les différents horizons de sols. De même, ils ne pratiquent aucun rognage ni même d’écimage, les vignes sont tressées entre elles pour ne pas traumatiser la vigne. Seule intervention autorisée sur la croissance, un ébourgeonnage/épamprage, souvent en deux passages, nécessaire pour garder des grappes aérées et juguler les rendements.
Les seules vignes que possèdent Beatriz et Etienne sont donc celles situées à l’intérieur du Clos. C’est un avantage d’avoir toutes ses vignes réunies au même endroit, à fortiori très proche du chai comme ici. Les voyages en tracteur se réduisent au strict minimum et la réactivité est maximale si une poussée mildiou ou oïdium se fait ressentir et qu’il faut aller traiter. L’inconvénient, évidement, c’est d’avoir « tous ses oeufs dans le même panier » et donc si un aléa climatique arrive, même très localisé, vous perdez tout…Le terroir est d’ailleurs plutôt gélif. Pour pallier au problème, le couple taille le plus tard possible, jamais avant Mars (« Taille tôt, taille tard, rien ne vaut la taille de Mars »). Ainsi, si le froid se fait sentir en Avril, la végétation n’est pas encore (trop) avancée et les dégâts sont donc moindres.
Béatriz et Etienne ont également planté des arbres partout dans la parcelle (ils ont planté plus de 100 poiriers l’année dernière), même parfois dans le rang à la place d’un cep manquant. Beatriz considère que les arbres peuvent produire leur propre chaleur et ainsi protéger les vignes environnantes. Je ne connaissais pas ce processus alors j’ai cherché un peu et ça s’appelle la thermogènese. Je vous laisse vous faire votre propre opinion (si vous le souhaitez) sur ce phénomène qui apparait tout de même sujet à discussion… Ce qui est sûr, c’est qu’à minima, cela apporte de la biodiversité ce qui est toujours positif. A l’avenir, cela pourra même avoir un impact positif en été contre les coups de chaleur en faisant de l’ombre lors des canicules ou même servir, pourquoi pas, de « tuteur » à la vigne (une pratique en réflexion chez Catherine Bernard par exemple et déjà en cours chez Patrick Desplats (et probablement ailleurs…))
A la cave, là aussi, Beatriz et Etienne tentent d’intervenir le moins possible et de laisser vivre les vins, de les laisser se construire patiemment. Aucun intrant n’a le droit de citer, pas même le soufre et tous les vins sont donc 100% pur jus de raisins fermentés sous levures indigènes. Les vinifications se déroulent en cuves béton brut (non revêtues).
Douceur est le maitre mot et cela commence dès la réception de la vendange que le couple veille à triturer le moins possible. Les « petites » cuvées (Les Grappes notamment) sont encuvées à la main caisse par caisse et donc vinifiées en vendanges entières. La cuvée Le Clos est égrappée, là aussi entièrement à la main, grain par grain sur une grille. Le couple n’hésite pas à jouer sur les durées de macération, qui peuvent aller de quelques jours à pratiquement 6 mois, une durée totalement hors norme. En contrepartie, il n’y a aucun processus d’extraction, ni remontage ni pigeage. Juste une infusion donc, avec parfois quelques seaux de jus simplement remis sur le marc pour le garder humide et ainsi éviter les problèmes
Le couple joue également avec les contenants d’élevage, utilisant à la fois la cuve béton, la barrique et des amphores en terre cuite. Les vins sont élevés dans une cave troglodyte, creusée sous la maison dans le tuffeau. Ici, la température est stable et l’hygrométrie parfaite. Les vins y prennent leur temps, se construisent, se patinent, patiemment.
Si vous avez bien suivi, vous vous êtes rendu compte que le couple ne possède pas de cépage blanc. Et pourtant, ils font quand même un vin blanc, un blanc de noirs à base de cabernet franc, une pratique plutôt confidentielle avec ce cépage. Pas de beau pressoir pneumatique ici, Beatriz et Etienne travaillent à l’ancienne et de manière artisanale avec un petit pressoir vertical à cage bois. On aime ou on aime pas mais en tout cas, clairement, les jus obtenus ne sont pas les meme…et en plus, ça fait travailler les bras !
Beatriz et Etienne ne prévoient pas d’augmenter leur surface de travail dans l’immédiat. Aujourd’hui, ils effectuent à deux l’ensemble des travaux, à la vigne comme à la cave et ne prennent aucun saisonnier, même pour des tâches répétitives comme la taille ou le tirage de bois. Il souhaite conserver cette autonomie et donc conserver une « petite » surface de travail. Seul projet, planter l’hectare de friche présent à l’intérieur du Clos, peut être avec autre chose que du cabernet pour s’ouvrir de nouveaux horizons !